Notes

Aujourd’hui, j’ai eu la surprise de recevoir la visite de Pierre.

Pierre est un élève que j’ai eu en classe de la 6° à la 3°…

On en a passé du temps ensemble. Avec des hauts et des bas. Beaucoup de bas.

Il avait ce don de se rendre détestable. Il te flinguait un cours en l’espace de quelques minutes.

Quand tu creuses l’histoire, tu découvres que Pierre est élevé par son papa. Sa mère a plié bagages en laissant derrière elle son mari, son fils Pierre et sa fille. Papa fait ce qu’il peut avec son fiston qui est en rébellion avec la vie depuis l’école primaire.
Pierre perturbe la classe. J’appelle son papa.
Pierre insulte. J’appelle son papa.
Pierre tape. J’appelle son papa.
Pierre … Encore papa.
Nous en arrivons à nous rencontrer de manière régulière. Un rythme de croisière. Le lien se crée. Le courant passe. La confiance s’installe.

Pierre continue à perturber les cours. Le mien, celui des collègues. 6ème, 5ème …

Il écope d’heures de retenue. Nous les passons en tête à tête. Il apprend les nombres en anglais. Il les copie. Les recopie encore et encore.

On s’apprend. On s’apprivoise. On s’apprécie.

Pierre a cette intelligence de détecter les failles de mes collègues. Les miennes. Jusqu’au jour où…

Un jour, en 4°, je l’ai giflé.

Diantre, parbleu, fichtre ! Un enseignant maltraite son élève !!! « Au scandale ! » pourriez-vous vous écrier….

J’explique.
Cours d’anglais. Pierre se montre insupportable.
« Ok… Tu ne veux pas bosser. Libre à toi. Va prendre l’air dans le couloir. »
Je laisse la porte ouverte et Pierre est sur le perron. Il continue à faire le clown : il passe sa tête par l’encadrement de la porte et fait des grimaces à ses camarades. Ils rigolent.
Je suis à proximité du tableau et, donc, Pierre ne me voit pas. J’approche à pas de velours… Dès que sa tête apparaît, ma main rencontre sa joue. Ils ne rigolent plus. Le temps se fige. Tout comme Pierre qui se fige de surprise.
La sonnerie retentit.
J’embarque Pierre vers le bureau de la Principale : je tiens l’élève par une main et son sac dans l’autre.
J’explique la scène. Elle sait. Elle me connaît. Elle connaît Pierre. Elle sait le lien. Elle sait le travail, les rencontres et les coups de fil avec le papa. Elle a déjà reçu Pierre dans son bureau. Elle lui en a aussi passé des savons pour le remettre dans le droit chemin et elle lui a remonté les bretelles plus d’une fois… Bref, elle ne se démonte pas et en repasse une couche à l’écoute de mes explications ! Je l’informe que j’appelle le papa pour lui expliquer ce qu’il s’est passé…

La réaction du papa.

D’après vous ? Suspens, roulement de tambour…

« Vous avez eu raison ! Il l’a bien cherchée ! »

On formait une équipe. On était solidaire face à la bêtise de Pierre.

Quand j’ai vu Pierre aujourd’hui à l’accueil du collège, j’étais agréablement surpris ! 2 ans que je ne l’avais pas vu. Il a 20 ans. Un flot de souvenirs me submerge lorsque mes yeux plongent dans le bleu des siens…

« Pierre ! Quelle bonne surprise ! Un café ? »

Il m’a connu comme un de ses professeurs de SEGPA. Dans ma classe, notre classe.

Aujourd’hui, je l’accueille dans mon bureau de directeur de cette même SEGPA.

J’imagine que, de sa part, autant de souvenirs ressurgissent. Bons ou mauvais, peu importe. Ils sont là. Nous avons partagé des moments forts.

Il m’explique ses échecs. Deux apprentissages, la boucherie, la boulangerie, sans succès…
Il erre professionnellement depuis 2 ans…. (Ma jolie formule pour dire qu’il ne fait rien.)

« Tu vis toujours chez ton papa ?
- Non, j’habite dans ma voiture depuis 2 semaines. »

Coup de massue.

Son apparence, son odeur… Effectivement, il ne me ment pas.

Il m’explique : les copains, la rigolade, le haschich, un contrôle de police, 4 mois de suspension de permis, la colère de papa qui le fout dehors et qui déménage sans laisser d’adresse, qui prévient toute la famille de ne pas aider Pierre, les embrouilles avec les amis…

Une copine : « Je t’aiderais bien, mais tu sais, il y a le bébé, mon copain… Désolée. »

Bref, il sombre, il coule. On lui tourne le dos. On ne veut plus l’aider.

Moussaillons !!! Souquez ferme ! On ne baisse pas les bras ! Droit devant !

Un appel, deux appels. Une association répond favorablement à la demande que je formule pour mon ancien élève : « Venez, on vous attend. »

J’accompagne Pierre. Il ne comprend pas tous les mots que l’éducatrice utilise. J’interviens : « Précarité, tu sais ce que ça veut dire ? Non ? Attends, je t’explique… »
Je suis redevenu son prof. Je n’ai jamais cessé de l’être.
Il était en galère. Il est venu me voir.

Jamais les bras tu ne baisseras !

Elève un jour, mes élèves pour toujours.