Notes

Mais toute sa vie, il avait été tellement attaché à ses idées qu'il n'avait jamais fléchi. Il aurait même pu mourir là sans fléchir, sans savoir ce qu'il ressentait à son égard. Toute sa vie il s'était dit : "La pauvre Christiana, elle a si fort caractère." Avec une volonté inébranlable, il avait gardé cette position à son endroit, il avait substitué de la pitié à toute son hostilité, la pitié avait été son bouclier et son garde-fou, son arme infaillible. Et, au fond de lui, il compatissait encore avec elle, et sa nature si violente et si impatiente.
Mais désormais sa pitié, avec sa vie, s'usait jusqu'à la corde, et la peur qui culminait presque à l'horreur se répandait dans son être. Mais avant que l'armure de sa pitié n'eût été vraiment fendue, il mourrait, comme un insecte dont on casse la carapace. C'était son ultime ressource. D'autres continueraient de vivre, et connaîtraient la mort éveillée qui s'écoule vers un chaos désespéré. Lui, non. Il voulait priver la mort de sa victoire.
Il avait été tellement attaché à ses idées, tellement attaché à la charité, et à l'amour de son prochain. Peut-être avait-il aimé son prochain encore mieux que lui-même - ce qui serait aller plus loin que le commandement. Le bonheur du peuple, cette flamme brûlait toujours dans son cœur, l'accompagnant à tout moment. Il était un grand patron au travail, il était un bon propriétaire de mine. Et il n'avait jamais oublié au fond de son cœur que dans le Christ, il ne faisait qu'un avec ses ouvriers. Encore mieux, il se sentait inférieur à eux, comme s'ils étaient plus proches de Dieu que lui, grâce à leur pauvreté et à leur travail. Il avait toujours la croyance consciente que c'étaient ses ouvriers, les mineurs, qui tenaient dans leurs mains les outils du salut. Pour se rapprocher de Dieu, il devait se rapprocher des mineurs, sa vie devait s'organiser autour des leurs. Ils étaient, inconsciemment, son idole, son Dieu-fait-homme. En eux, il vénérait la divinité de l'humanité, la plus haute, la grande, sympathique et naïve.
Et pendant ce temps, sa femme lui avait fait face comme un des grands démons de l'Enfer. Étrange, comme un oiseau de proie, avec la beauté fascinante et le détachement du faucon, elle avait cogné les barreaux de sa philanthropie, comme un faucon en cage, elle avait sombré dans le silence.