Notes

5 janvier 1978 - District 8

Me voilà à nouveau dans une pauvreté bien familière, celle du district Huit, le district qui fabrique les textiles et vêtements. C'est un milieu urbain puant de fumées industrielles, avec des personnes logées dans des immeubles détériorés, avec à peine un brin d'herbe en vue. Cependant, cette fois, je n'ai pas eu l'occasion de voir beaucoup de paysage avant d'arriver à l'hôtel de justice. Et de toute manière, je suis trop concentré pour y faire attention. Je sais que le district Huit est l'un des éléments-clés de ma tournée, et ici, je n'ai pas le droit à l'erreur. Les choses sérieuses vont véritablement commencer.

Le son de l'hymne me devient de plus en plus familier chaque jour. Il salue mon arrivée à chaque fois que je mets un pied sur l'estrade. De plus en plus, au fil du temps, ses paroles suivent, dans mon esprit, la mélodie qui retentit, et me rappellent pourquoi je suis réellement là, quelle est ma mission. Etre l'étincelle qui embrasera peut-être demain Panem. Etre le porte-parole du ras-le-bol de tout le peuple.
Tous les gens qui ont les yeux rivés sur moi sont visiblement, comme le fait savoir la réputation de ce district, d'une pauvreté évidente. Je les regarde avec un pincement au coeur, et eux me fixent en attendant mes paroles. Derrière, il y a les familles des tributs, devant les portraits informatisés de leurs enfants défunts, comme toujours. Mes yeux reviennent vers le pied de la scène, où se tiennent, juste derrière les Pacificateurs et en bordure de la foule, Cecelia et Woof, les mentors de ce district, de très bons amis de Seeder et Chaff. Ils m'adressent un signe et je hoche légèrement la tête pour le leur rendre, avant de me concentrer à nouveau sur la population du district.

- Je vais profiter d'avoir l'honneur d'être ici aujourd'hui pour rendre hommage à vos tributs défunts. Au-delà des districts, il y a Panem, et même si on est toujours plus sensible à la mort des jeunes de notre propre district, les autres sont, au fond, je le sais, tout aussi importantes. Parce qu'avant d'être des habitants du Un, du Six, du Neuf ou du Douze, avant même d'être des citoyens de Panem, nous sommes des êtres humains. Je partage donc aujourd'hui avec vous ma volonté de rendre hommage à Priscilla, Jane, Martin et Edward, et j'espère qu'aujourd'hui, ils sont dans un monde meilleur.

Je relève les yeux vers le portrait de Jane, que j'ai vue mourir devant moi dans l'arène avant d'avoir pu intervenir. J'ai culpabilisé, certes, mais au fond, c'est peut-être mieux comme cela. Je n'aurais pas aimé avoir à la tuer, c'était une gamine d'à peine quatorze ans, bien qu'ayant été amochée par la vie, elle en paraisse au moins dix de plus.

- J'aimerais présenter mes excuses aux parents de Jane, car j'ai vu ce qu'il est arrivé à votre fille sans avoir eu le temps d'intervenir. Elle a bu l'eau de la rivière, qui était empoisonnée. Je lui adresse également une pensée pleine de reconnaissance, parce que je comptais faire la même erreur quelques secondes plus tard, et c'est en partie grâce à elle que je suis encore en vie aujourd'hui.

En vérité, tout aurait sans doute été mieux si j'avais bu l'eau de la rivière à ce moment là. Je soupire légèrement, mais je chasse rapidement cette pensée de la tête pour pouvoir passer à la suite de mon discours. Le plus important.

- Un jour, vous ne verrez plus de vainqueurs des Jeux, votre district et tous les autres n'enverront plus de tributs dans les arènes, pour la simple raison que les Jeux n'existeront plus. Un jour, peut-être prochain, ils atteindront réellement leur limite. S'ils ont été mis en place pour nous gouverner par la peur, ils risquent de se retourner contre ceux qui les ont créés et qui entretiennent leur gloire artificielle au fil des années. Vous avez du pouvoir, bien plus que vous ne le pensez, et l'heure est venue de le faire comprendre à celui nous méprise et nous prend pour des moutons suivant le mode de vie qu'il nous a imposé. Unissons-nous, et il verra que...

réJe n'ai pas le temps d'aller plus loin. La clameur montante de la foule, qui approuve mes paroles et trépigne, paraît soudainement sourde, mise en arrière-plan par des coups de feu qui retentissent et la transforme en cris stridents. Sous mes yeux, les Pacificateurs arrosent la foule de balles. Les gens essaient de fuir, mais certains sont touchés. Je n'ai pas le temps de leur crier d'arrêter que je suis tiré en arrière et qu'on me ramène à l'intérieur de l'hôtel de justice. Juste avant que les portes se ferment, je sens une douleur déchirante au niveau de ma cuisse, tandis que Woof me serre fort contre lui pour me soutenir, les bras glissés autour de ma taille pour m'empêcher de tomber, ou bien de retourner sur l'estrade. Je me laisse finalement glisser au sol, et Woof suit le mouvement. Mes yeux tombent sur le trou laissé par la balle dans mon pantalon, le coeur serré en entendant encore les cris de la foule et les tirs de balle. Combien de personnes sont à nouveau mortes à cause de moi, aujourd'hui ? Je me prends la tête dans les mains ignorant les cris d'Elizabeth, mon hôtesse, qui me passe le savon du siècle, et la voix autoritaire de ma mentore qui essaie de la calmer.

- Je ne voulais pas ça.
- Je le sais, Haymitch, regarde-moi.

La voix que j'entend m'est inconnue, et quand je relève les yeux, je vois le visage de Cecelia devant le mien. Elle hoche la tête avec un léger sourire, même si les gens de son district se font arroser de balles en ce moment-même.

- Les Pacificateurs sont stupides. Leur réaction ne fera que réagir davantage les districts, me dit-elle en entreprenant de couper la jambe de mon pantalon pour, apparemment, me soigner.
- Et si, au contraire, ça les freinait à nouveau dans leur élan ?
- C'est à toi de faire en sorte que ce ne soit pas le cas, complète Woof.

Je hoche distraitement la tête et ferme les yeux, complètement sonné et grisé par la douleur qui se répand dans ma jambe. Habitué à surmonter la douleur depuis toujours, et encore plus depuis l'arène et avec ce qui est arrivé dans la salle des runes, à Poudlard, je serre les dents et prends sur moi en laissant Cecelia nettoyer ma plaie. Ma mentore s'inquiète de la suite de la tournée et de mon état, mais je lui adresse un regard et elle comprend que je compte bien la faire, même si je dois y laisser la peau. Si je meurs, ce ne sera pas inutile.