Notes

28 janvier 1966 - District Douze

A l'école, la journée se termine lentement. Elle m'a semblé interminable et j'ai hâte de rentrer chez moi, de retrouver mon père, ma mère et mon futur petit frère ou ma future petite soeur qui va bientôt naître. Je reste calme, en apparence, mais intérieurement, j'ai hâte que ce cours d'histoire sur les mines de notre district se termine. Moi qui m'intéresse d'habitude beaucoup aux mines, tout simplement parce que je deviendrai sûrement mineur à mon tour, dès que je serai assez grand pour travailler.

-Et c'est en 1919 que s'est déroulé le dernier coup de gris...

Notre professeur se fait interrompre par une grande détonation qui retentit, faisant trembler les murs de l'école. Nous sursautons tous en choeur, et, sans explication, la vitre près de moi se brise pendant que les autres restent intactes. Sûrement à cause de l'onde de choc. Le professeur prend une inspiration, tandis que nous échangeons tous des regards intrigués.

-Restez calmes... on va aller dans la cave, annonce-t-il.

Tout le monde se hâte de se lever pour aller vers la sortie se mettre en rang, tandis que je m'approche de la fenêtre brisée pour voir ce qu'il se passe dehors, mais la seule chose que je sens est que l'air est devenu plus lourd, comme si une poussière l'envahissait. Mais je n'ai pas le temps d'en voir plus, mon professeur m'appelle et nous quittons tous la salle, direction la cave. Nous avons fait cet exercice déjà deux fois, mais les professeurs ne nous ont jamais dit pourquoi. C'est lorsque nous passons devant la fenêtre qui donne sur les mines, et que je vois un nuage de poussière épais qui sort de celles-ci, que je réalise ce qui est en train de se passer. Rapidement, je quitte le rang et pique un sprint jusqu'au quartier de la Veine, où je vis avec mes parents. J'espère y trouver mes parents, peut-être que mon père est rentré du travail en avance.
J'arrive à la maison hors d'haleine, et je rentre précipitamment. Ma mère est assise à la table de la cuisine et masse son gros ventre, l'air préoccupé. Il n'y a aucune trace de mon père. Je m'approche d'elle et lui prends le bras.

-Papa... il est où ? Il travaille ? Tu as entendu...?

Elle se tourne vers moi sans sembler étonnée que je sois sorti plus tôt de l'école. Elle s'efforce de m'adresser un sourire, mais je vois bien qu'elle est inquiète. Evidemment qu'elle a entendu la détonation, tout le district a dû l'entendre, peut-être même qu'elle s'est faite entendre jusqu'aux ruines du district Treize.

-Oui, mon chéri. Ils ont dû se mettre à l'abri, ne t'inquiète pas pour lui.

Je secoue légèrement son bras, désespéré.

-Maman... il faut qu'on y aille... je veux voir papa.
-Plus tard, chéri, c'est trop dangereux.

Je lâche son bras, sachant très bien qu'elle ne changera pas d'avis, et vais me poster à la fenêtre pour regarder le nuage de poussière. Je guette le moment où les gens commenceront à s'agglutiner autour de la mine pour retrouver leurs proches qui y travaillent. En même temps, j'imagine les retrouvailles avec mon père. Quand il sortira de la mine, je lui sauterai dessus et je ne le lâcherai plus jamais. J'insisterai pour qu'on aille chasser ensemble deux fois plus souvent en faisant chanter les geais moqueurs. Je profiterai bien de lui, plus que je ne le fais déjà, car au milieu de cette vie chaotique, il m'apporte une drôle d'impression de stabilité et d'apaisement, comme si quelque chose de spécial nous unissait.

Au bout d'environ une heure, la fumée s'est un peu dissipée et les gens commencent à s'agglutiner. Alors que j'allais voir ma mère pour lui demander d'aller à la mine, elle vient me chercher et me donne un mouchoir en tissu. Je la regarde l'appliquer sur son nez et je fais de même, puis elle me donne la main et nous quittons ensemble notre pauvre petite maison pour aller à la mine. Une fois arrivés, nous ne sommes pas seuls, beaucoup de familles semblent attendre fébrilement leurs proches. Je serre fort la main de maman sans lâcher des yeux l'entrée de la mine par où sont entrés les secours. Personne ne dit rien, tout le monde attend dans un silence lourd et pesant.

Vingt minutes plus tard, un premier secouriste sort, suivi d'un mineur. Une femme, flanquée de deux enfants, pousse un cri de joie en le voyant et l'homme rejoint sa famille, qui, après des étreintes chaleureuses, s'en va reprendre sa vie comme si cet accident n'avait jamais eu lieu. Au fil du temps, de plus en plus de mineurs sortent et la foule se rapetisse. Mais mon père n'est toujours pas revenu. Cependant, nous ne perdons pas espoir, on est tenace dans la famille, et ma mère et moi savons que nous ne partirons pas sans avoir retrouvé mon père. La nuit finit par tomber, et de moins en moins de gens sortent de la mine. A chaque fois que quelqu'un apparaît, une lueur d'espoir monte en moi, mais elle s'éteint toujours lorsque je ne reconnais pas les cheveux blonds si caractéristiques de mon père.

Je ne sais pas combien de temps nous restons là, ma mère et moi, blottis l'un contre l'autre dans le froid hivernal, les pieds dans la neige, à attendre un miracle. Je me sens fatigué, j'ai faim, et surtout, j'ai besoin de voir mon père. Finalement, au bout d'un moment, les lumières de l'aube commencent à éclairer le district Douze. On est resté là, toute la nuit, à attendre. Peu après, un secouriste sort et nous regarde, les familles restées, en secouant négativement la tête, l'air fermé. A côté de nous, une petite fille fond en larmes dans les bras de sa mère. Mais la mienne ne lâche rien et me laisse pour aller voir le secouriste. Je devine qu'elle lui demande où se trouve mon père. L'homme lui répond quelque chose, et elle hoche simplement la tête en regardant dans le vide. Quelques secondes plus tard, elle revient vers moi, et je l'interroge du regard. Elle s'accroupit alors pour se mettre à ma hauteur et pose ses mains sur ses épaules en plantant son regard dans le mien.

-Haymitch, chéri... on va devoir être fort.

Ses mots brisent tout espoir qu'il me restait et je sens un grand vide m'envahir tandis que je comprends que mon père ne rentrera pas. Les larmes me montent aux yeux mais je le cache en me blotissant contre ma mère et contre son ventre proéminent, que je caresse doucement comme pour apaiser le bébé qui s'y trouve. Ma mère me sert fort contre elle, et même si elle cache ses émotions, je sens ses bras trembler autour de moi. Je fais de mon mieux pour l'apaiser, mais, petit à petit, je sens le désespoir m'envahir à mon tour et je ne me sens plus capable de le faire. Je ferme les yeux et laisse alors les larmes rouler sur mes joues, en essayant d'être le plus discret possible. Je repense à tous ces moments passés avec mon père, qui ne pourront plus jamais avoir lieu et j'ai envie de m'effondrer. Ma mère caresse mes cheveux et pousse un long soupir qui trahit son propre désespoir.

-Rentrons... finit-elle par dire presque dans un murmure.

Je me ressaisis et hoche la tête, avant de me reculer et de lui tendre la main. Nous prenons alors la direction de notre petite maison, qui va désormais nous sembler plus grande.