Notes

Notes de lecture

Si le roman assura immédiatement la célérité d'Agatha Christie, il ne fit cependant pas l'unanimité. Par ce livre Bayard s'interroge sur la fascination qu'à le lecteur pour l'ingéniosité avec laquelle A.C. a dissimulé la vérité. Ce livre obéit donc à une grande rigueur et cherche à donner la réponse la plus vraisemblable quant au coupable du meurtre. Il a également un second objet, plus théorique, qui concerne le délire , et particulièrement le délire d'interprétation. En somme, il s'agit ici de s'approcher du vrai par l'analyse du livre sous une perspective différente.

A) L'enquête
Chapitre 1 : Le meurtre. Résumé du livre. L'assassin ne peut être (c'est certain) qu'un personnage de premier plan selon les lois du genre policier.
Chapitre 2 : L'enquête. La police mène un raisonnement classique produisant un assassin vraisemblable, Poirot progresse de son côté au moyen de raisonnement imprévisibles, vers un assassin innatendu. Police opère en pleine lumière alors que Poirot ne laisse filtrer que des indices incompréhensibles. Alors que la police ne chercher qu'à résoudre l'énigme, Poirot s'attache aux énigmes secondaires paralysant ses recherches (meuble déplacé, alliance etc.). Bayard revient sur l'histoire en récapitulant la fin du récit.
Chapitre 3 : Le principe de Van Dine. A.C. Pose la question, éminemment freudienne, pourquoi nous arrive-t-il de ne pas voir ? Elle expérimente les formes multiples de l'aveuglement & de ce qui en est constitutif, le désaveuglement auquel conduit l'enquête, c'est-à-dire l'interprétation et le mouvement par lequel elle produit du sens. S.S. Van Dine a tenté de formaliser les règles d'un roman policier. LA règle principale, numéro 15, concerne le mode de la dissimulation de la vérité : la vérité dissimulée par excès d'évidence (cf La lettre volée d'Edgar Poe). Christie s'attacher à empêcher le lecteur d'accéder à la vérité sous son regard : comment fait-elle ? Il s'agit par ex. de déguiser le meurtre, de déguiser l'assassin, de jouer de sa fonction etc. Dans le même mouvement, l'auteur s'efforcera souvent de dévier une sorte de déguisement en négatif : ce n'est plus le vrai qui est rendu méconnaissable mais le faux qui est grimé pour capter l'attention : c'est le détournement. Il peut s'agir de faux-indices, des indices servant uniquement à égarer le lecteur, etc. L'avantage du détournement est d'empêcher qu'une idée ne se forme, empêcher de penser. Cette dissimulation du coupable peut aussi reposer sur l'exhibition ou encore sur le mensonge par vérité où la vérité se cache derrière la vérité, celle-ci ne peut pas être dite entièrement (où Freud raconte l'histoire de deux juifs qui se rencontrent en wagon où l'un dit à l'autre qu'il va à Cracovie, celui-ci lui reproche alors d'essayer de lui mentir en affirmant qu'il dit qu'il va à Cracovie pour qu'il croit qu'il va à Lemberg.)
La possibilité de combiner ces trois grands modes de dissimulation augment de façon considérable le nombre virtuel de solutions d'une énigme en mettant une logique plurielle, le résultat est que l'œuvre finit pas engendrer le modèle de polysémie où chaque élément devient sujet à caution. Ce modèle de polysémie virtuelle en vient à générer de l'indécidabilité. Le doute est d'autant plus grand que l'aveuglement & sa dissipation sont des phénomènes personnels, de ce fait l'évidence de la vérité est moins un fait textuel qu'une virtualité de lecture, à laquelle chacun peut ou non se rallier.
Chapitre 4 : Le mensonge par omission. Sheppard : déguisement par nature (pas doté d'une nature qui le prédispose au meurtre) + déguisement par fonction (médecin + son rôle au côté de Poirot (nouveau Hastings?)) + alibi solide (truquage sonore et témoins). Détournement par des suspects de premier rang (Raph, Parker) et d'autres qui attirent la méfiance (Flora, argent) + intrigues parallèles. La dissimulation relève aussi de la confusion narrateur/assassin; Barthes disait "le lecteur recherche l'assassin derrière les "il" alors qu'il est caché derrière les "je"". La première personne finit par se confondre avec un narrateur omniscient, le "je" tend à se transformer en porte-parole de la vérité. Alors même qu'il est placé sous les yeux, il devient presque invisible & déguise l'assassin en instance de narration. Discours à double entente de Sheppard, il n'y a aucun mensonge dans son discours ni de vérité : c'est un livre en double. C'est aussi le mensonge par omission qui est très présent (voir extrait à droite), l'inconvénient majeur de la reconnaissance du mensonge par omission est d'ouvrir vers l'infini l'espace borné des œuvres comme s'il s'agissait d'un texte arraché à un ensemble plus vaste.

B) Contre-enquête
Chapitre 1 : La nuit qui ne finit pas. Bayard parle d'un autre livre. Avec Roger Ackroyd, le discours a double entente a surtout pour fonction de colmater les brèches du mensonge par omission.
Chapitre 2 : Le paradoxe du menteur. Le récit à la première personne ne raconte pas une histoire, il donne un point de vue sur l'histoire. C'est en fait la paradoxe d'Epiménide qui est au cœur du récit : "Je mens" (on remarque qu'un "je" s'efface derrière un autre). Mauvaise foi du narrateur qui trompe le lecteur en donnant une version pervertie. On note dans le roman l'absence d'aveu dans le chapitre d'aveu, il y a eu l'intention certes. Même si Sheppard avouait, ses aveux ne prouveraient rien : ce serait seulement un élément d'accusation. Nous allons voir maintenant si Sheppard pouvait, matériellement parlant, commettre le meurtre.
Chapitre 3 : Invraisemblances. Avant le meurtre : Sheppard n'aurait certainement pas été plus en sécurité (plusieurs lettres de Mrs Ferrars) + faiblesse de Sheppard cadre mal avec l'esprit de décision du meurtrier. Réalisation du meurtre : quand Sheppard aurait eu le temps de fabriquer l'appareil à déclenchement ? + pb. sur les bottes de Paton. Après meurtre : coup de téléphone n'est pas la solution la plus sûr pour revenir sur les lieux du crime + Sheppard ne contredit à aucun moment l'accusation de Poirot.
Chapitre 4 : L'assassin idéal. Premier mouvement : ouverture du sens (multiplication des pistes et des solutions) puis deuxième mouvement : fermeture du sens (qui propose une vérité unique) mais avec A.C. on a un nombre considérable d'indices. Difficulté à discuter ce que l'on interprète. En cherchant à tout prix une solution brillante et compliquée, Poirot oublie que tout concorde à la fin du livre pour continuer à faire de Paton le coupable le plus vraisemblable.

C) Délire
Chapitre 1 : La croisée des chemins. Rappel du mythe d'Œdipe & critique de la version de Freud par Marie Balmary : Freud n'a pas vu qu'Œdipe-roi renvoie à des questions beaucoup plus larges, en effet il s'agit en fait d'une faute originelle transmise de génération en génération car Chrysippe (fils de Pélops) est enlevé par Laïos, amoureux de lui ; Pélops jette une malédiction sur lui. Le choix du roman policier comme modèle est décisif en privilégiant un domaine esthétique où le sens est largement univoque : un seul assassin, une seule vérité.
Chapitre 2 : Qu'est ce qu'un délire ? Un premier élément qui devrait permettre de le caractériser est le rapport falsifié qu'il entretient avec la réalité. La différence avec le mensonge, c'est le sentiment de conviction qui le produit. Le délire implique une distorsion majeure de la réalité et un certain positionnement psychique par rapport à cette position, ce que résume très bien Poirot par "Hercule Poirot sait". On va voir maintenant la différence entre le délire paranoïde et le délire paranoïaque. Le premier laisse le sujet, pour celui qui l'observe, dans un état d'étrangeté et de confusion. Quant au délire paranoïaque, il repose sur une certaine logique difficile à mettre en défaut et se présente à l'observateur comme relativement plausible dont le discours final d'Hercule Poirot est révélateur de cette logique sans faille visible, mais subtilement biaisée ==> Fausse cohérence. Cette logique s'appuie sur l'interprétation qui met au premier plan l'indice. On notera aussi que délire est une formation de l'inconscient, reposant alors sur des raisons intérieurs.
Chapitre 3 : Délire & théorie. Il est possible que délire & théorie s'entrecroise puisque la théorie est abstraite & s'approche de la fiction. En effet pour Freud, le délire est une tentative pour mettre de l'ordre dans la folie. Ainsi commencer un délire,
c'est tenter de disposer autrement des fragments de vie psychique, engager un travail de sens & donc en un certain sens de se livrer à une forme de théorisation. Le délire est donc une activité de mise en sens & non une perte sens. A partir du moment que l'on pose l'activité de théorisation comme interne au sujet, la limite entre théorie & délire se trouve complètement pervertie. La psychanalyse tend comme le délire à faire surgir une autre réalité dissimulée derrière les apparences, ainsi se retrouve-t-elle menacée par l'interprétation qui ne peut jamais occuper une pleine position d'extériorité puisqu'elle est animée par une quête identique du sens.
Chapitre 4 : Délire & critique. Barrière apparente contre le délire dans les textes, il y a la clôture matérielle et la clôture subjective. Clôture matérielle : s'en tient exclusivement à ce que le texte dit. Clôture subjective : absence d'indépendance du texte littéraire par rapport au lecteur. Il existe un monde intermédiaire à mi-chemin du texte et de la subjectivité de celui qui le lit. Dès l'instant où l'on admet cette différence essentielle entre un monde réel et un monde imaginaire, il apparaît que l'un et l'autre
obéissent à des types de vérité différentes. Pour cette raison, nous serions portés à suggérer une distinction proposée par Todorov dans les Morales de l'Histoire : vérité de dévoilement & vérité d'adéquation : la première ne connaît comme mesure que le tout ou le rien, la seconde, le plus ou le moins. Pour savoir si les juifs sont, oui ou non, partis en fumée par les cheminées d'Auschwitz. Si la question porte cependant sur les causes du nazisme, les réponses ne peuvent contenir que plus ou moins de vérité. L'avantage de cette distinction est de ne pas trop contraindre à des dichotomies trop fermées. La tendance de Freud est de rabattre la vérité de dévoilement sur la vérité d'adéquation. Aussi, privilégier dans la lecture interprétative la vérité d'adéquation revient à considérer que les énoncés produits relèvent du vrai ou du faux, ce dont effectivement relèvent les meurtres réels, quel que soit leur succès que l'on a dans la recherche de leurs responsables.

D) Vérité
Chapitre 1 : Rideau. Rideau est un manuscrit secret qu'A.C. enfermait dans un coffre-fort et fut destiné à être publié après sa mort. Ce roman raconte la dernière enquête d'Hercule Poirot : Nestor est un assassin qui sévit dans une pension de famille & sa technique consiste dans la levée de la volonté. En effet, nous sommes tous des assassins en puissance. En chacun de nous se manifeste de temps à autre le désir de tuer, mais pas forcément la volonté de tuer. La dernière enquête de Poirot est donc, en un certain sens, consacrée à raconter comment lui-même est devenu un assassin. Dans sa lettre posthume, Poirot révèle à son fidèle confident qu'il a tué Mrs Franklin en faisait pivoter la table pour attraper Othello. Tout comme dans Roger Ackroyd, le lecteur est donc convié à assister à son insu à la description d'un meurtre par son auteur, à cette différence près que le narrateur lui-même ne sait pas, en le racontant, qu'il l'a commis.
Chapitre 2 : La vérité. L'assassin est quelqu'un qui se trouve en évidence dans le livre alors que personne ne le soupçonne. Quelqu'un possédant une grande force intérieure et qui, n'étant pas présent à la soirée chez Ackroyd, a pu aller chercher le poignard dans la vitrine, puis frapper au carreau d'Ackroyd pour se faire ouvrir. Quelqu'un de remarquablement informé sur la vie du village, capable, par exemple, grâce à son réseau privé de relations, de tout savoir de la mort de Ferrars et de sa femme, et de faire surveiller leur courrier. En un mot : Caroline Sheppard.
Chapitre 3 : Rien que la vérité. Caroline a commis un meurtre altruiste pour protéger son frère qui était bien le maître-chanteur. Démonstration de ce qu'avance Bayard. Cette version présente une cohérence policière supérieure & semble plus belle puisqu'elle revient à transformer une sordide histoire d'argent en une histoire d'amour.
Chapitre 4 : Mais toute la vérité. Caroline est en effet comparée à une mangouste derrière les premières pages, laquelle se caractérise par tuer les serpents pour protéger sa famille. Caroline peut aussi être vue comme un double de Miss Marple ou encore même d'A.C. La véritable question à se poser est qui a tué Sheppard ?